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Santé mentale et physique

Trauma : suggestion lecture et quoi faire

Par Kanica Saphan

Élargissons notre définition de « trauma ».

Il ne s’agit pas uniquement des militaires déployés en Afghanistan ou des victimes d’attentats terroristes.

Malheureusement, les expériences traumatiques se déclinent en toute une gamme de vécus, ce qui fait du trauma une expérience commune et prévalente dans notre société.

Ça peut être un grave accident de la route dans lequel on a failli mourir.

Ça peut être d’avoir été témoin de violence physique à la maison.

Ça peut être d’avoir été frappé par son parent, ou d’avoir grandi avec un parent ayant un trouble de santé mentale ou ayant une dépendance.

Ça peut être d’avoir vécu une expérience sexuelle non désirée qui nous a laissés confus et enragés.

Bessel van der Kolk est un psychiatre et neuroscientifique qui étudie les traumatismes depuis presque 50 ans.

Malgré une conceptualisation oscillante dans le milieu scientifique, Dr Van der Kolk ne voit pas le trauma comme l’événement qui nous est arrivé, mais plutôt comme la réponse face à cet événement.

Un des impacts désolant des traumas est que le corps et le cerveau ne semblent pas comprendre que l’événement en question appartient au passé et n’est plus en train de se produire présentement. Résultat? Notre corps subit continuellement les répercussions. On continue de réagir à des choses comme si nous étions encore en danger.

Back then, on devait survivre, on devait se protéger. Certaines personnes entrent en mode « fight/flight » et d’autres personnes s’éteignent complètement. Ce sont des réponses automatiques hors de notre volonté.

Van der Kolk explique dans son livre The Body Keeps The Score (ou Le corps n’oublie rien, en français) comment le trauma a un impact sur notre cerveau et sur notre corps.

Je vous mentirai si je vous disais qu’il s’agit d’une lecture facile et vulgarisée. Certes, la première partie du livre « vulgarise » les dernières avancées en neuroscience mais peut être lourde et théorique pour plusieurs. La deuxième partie du livre est celle que je trouve la plus pertinente pour le grand public car il explique plusieurs modalités pour avancer dans notre cheminement en donnant des exemples concrets de personnes et d’organismes qui ont appliqué ces moyens.

Voici une vidéo de 8 minutes qui jette les prémisses du livre.

Nous vivons dans une société où lorsque nous avons mal, nous prenons quelque chose pour faire disparaître le mal. Pourtant, la prise de médication et même consulter une professionnelle ont leurs limites.

En parlant de Ute, une patiente qui a subi un crash avec un camion, Dr Van der Kolk raconte :

« After seeing Ute’s scan, I started to take a very different approach toward blanked-out patients. With nearly every part of their brain tuned out, they obviously cannot think, feel deeply, remember, or make sense out of what is going on. Conventional talk therapy, in those circumstances, is virtually useless. »

Sans dire qu’il n’y a rien à faire et que c’est un cas désespéré, au contraire, des belles fondations peuvent être rétablies, car sentir, nommer et identifier ce qui se passe à l’intérieur est l’une des premières étapes pour s’en remettre selon Van der Kolk.

Savoir quelle émotion on ressent est la première étape pour savoir pourquoi on la ressent.

En pratique, il m’est déjà arrivé de voir des gens qui voulaient parler de leurs relations (par exemple) pour finalement qu’on se rende compte, tous les deux, qu’il y avait d’autres enjeux plus prioritaires pour le bien-être de la personne, comme être à l’écoute de son corps et de ses émotions (les positives comme les négatives).

QUOI FAIRE

On juge certaines pratiques comme étant scientifiquement invalides car on les associe à des pratiques spirituelles, hippies, ou orientales.

Pourtant, en combinant plusieurs pratiques issues de disciplines et d’approches variées, nous multiplions les efforts entrepris pour façonner une vie où il est possible de ressentir plaisir et joie.

La deuxième partie du livre présente plusieurs modalités (autre que la prise de médicament) qui ont des résultats bel et bien tangibles pour le traitement de traumatismes :

  • Consulter

Parce qu’avoir un autre humain qui valide sincèrement notre vécu est d’une force inestimable. Justine et moi en avons fait notre métier donc, clairement, on y croit!

  • EMDR

Qui est l’abréviation de Eye Movement Desensitization & Reprocessing, une approche spécifique lorsque vous consultez qui implique de bouger ses yeux en suivant un crayon ou le doigt du thérapeute, et qui n’est pas encore une approche couramment acceptée. Dis autrement, il s’agit d’une technique fondée sur les mouvements oculaires qui permet le retraitement des informations traumatisantes. Justine et moi ne pratiquons pas cette technique, donc si vous êtes intéressé, rendez-vous sur ce lien pour trouver une personne qualifiée au Québec.

  • Le yoga

Qui nous apprend à habiter notre corps, à se concentrer sur les signaux de notre corps et à respirer. Cette pratique nous apprend à tolérer un certain degré d’inconfort et nous montre que notre corps est capable de soutenir un inconfort temporaire, dans un contexte sans pression. Le yoga a démontré être un traitement plus efficace pour le PTSD que les médicaments selon les études que l’équipe de Van der Kolk ont étudiées.

La pratique même du yoga peut être triggering pour les victimes d’abus sexuel, car plusieurs positions font en sorte que nous avons le bassin exposé, dont le « downward dog », une position ultra commune.

Le yoga est donc une manière de se réapproprier plusieurs habiletés, de pratiquer l’auto-compassion et de cultiver la conscience des sens.

  • Le neurofeedback

Je ne veux pas m’aventurer à traduire en français les termes anglais, alors je vous invite à visionner la vidéo suivante de 9 minutes qui explique grossièrement le concept de « neural feedback », ou encore mieux, je vous invite à vous procurer le livre et à lire le chapitre entier dédié à ce sujet.

Les psychédéliques, l’art, la danse, la musique, le théâtre, le chant, l’écriture sont également d’autres modalités discutées dans le livre.

Le test ACE

Une collaboration entre le CDC (l’équivalent américain de Santé Canada) et Kaiser Permanente (un des plus grands consortiums en santé aux États-Unis) a permis de réaliser une étude phare maintenant connue sous le nom de The ACE study, pour Adverse Childhood Experiences.

Cette vidéo de 16 minutes explique en quoi consistent l’étude et les résultats.

« Dans le milieu des années 90, le CDC et le Kaiser Permanente ont découvert une exposition qui augmentait radicalement les risques d’attraper 7 des 10 maladies les plus mortelles aux États-Unis. À fortes doses, elle affecte le développement du cerveau, le système immunitaire, les systèmes hormonaux, et même la façon dont notre ADN est lu et transcrit. Les personnes qui y sont exposées à de très hautes doses ont un risque de maladie cardiaque et de cancer du poumon trois fois plus élevé et une espérance de vie réduite de 20 ans. Et pourtant, les médecins ne sont pas formés à la détecter ou la traiter. L’exposition dont je parle n’est pas un pesticide ou un produit chimique. C’est un traumatisme de l’enfance. »

Pour connaître votre score sur le test ACE, voici un lien.

Suite aux résultats, lisez ce court texte de l’université Harvard expliquant ce que votre score ACE indique et n’indique pas.

Finalement, le livre aborde le côté politique et financier des diagnostics ainsi que du DSM (la bible des diagnostics utilisée par tous les professionnels en santé mentale, les facultés, ainsi que les compagnies d’assurance) pour démontrer qu’il reste encore du travail à faire en ce qui concerne la compréhension et le traitement des traumas, puisque certaines personnes sont diagnostiquées à tort avec un PTSD (post traumatic stress disorder) quand elles bénéficieraient mieux d’un autre diagnostic (que Dr Van der Kolk propose à la fin du livre).

Conclusion

Ce livre m’a ouvert les yeux sur l’expérience du trauma et de ce qui compte comme du trauma. L’équipe de recherche de Dr Van der Kolk a trouvé de manière répétitive au fil des ans que la négligence et l’abus émotionnel chronique peuvent être aussi dévastateurs que l’abus physique et les agressions sexuelles. (1)

Comme Dr Van der Kolk « je réalise que ma formation académique, avec son focus sur la compréhension et la réflexion (insight), a largement ignoré la pertinence du corps vivant et respirant, la fondation de nos êtres ». [traduction libre]

Les traditions occidentales psychiatriques et psychologiques se basent sur la médication et sur les thérapies verbales (où on parle), tandis que d’autres traditions d’ailleurs (et d’ici, si on pense aux cultures autochtones) se basent sur la pleine conscience, le mouvement, le rythme et l’action.

On parle du yoga en Inde, du tai chi et du qigong en Chine, et des percussions rythmiques en Afrique, pour n’en nommer que quelques-uns. Les cultures japonaises et coréennes ont façonné les arts martiaux qui cultivent les mouvements intentionnels et l’attention sur le moment présent, des habiletés qui sont endommagées chez les individus traumatisés selon Van der Kolk. Des exemples incluent l’aikido, judo, tae kwon do, kendo, jujitsu ainsi que la capoeira du Brésil. Ces pratiques impliquent toutes du mouvement physique, de la respiration contrôlée ainsi que de la méditation.

RESSOURCES

Les prochaines ressources mentionnées sont des endroits et des personnes que j’ai personnellement rencontrées, donc je peux témoigner de ma confiance envers les lieux et les expériences proposées. Je ne reçois évidemment aucune compensation en échange, je recommande sincèrement ces endroits parce qu’ils sont complémentaires à ma pratique et je suis convaincue que mes clients ne peuvent que retirer du positif lorsqu’ils adoptent une vision globale de leur santé (mentale et physique) en combinant plusieurs modalités.

En septembre 2001, plusieurs organisations dont le National Institutes of Health, Pfizer et le New York Times Company Foundation, se sont regroupées pour offrir de l’aide aux New Yorkais affectés par les attentats du 11 septembre. Après de longues délibérations, deux approches en psychothérapie ont été offertes à la population (psychanalytique et TCC, pour les connaisseurs). Après que ces approches aient été validées, le regroupement a attendu que les New Yorkais se rendent aux bureaux des cliniciens. Pratiquement personne n’est allé consulter.

Un docteur s’est donc demandé où les survivants sont allés chercher de l’aide et il a mis sur pied une étude pour le découvrir. En demandant aux survivants ce qui a été le plus utile pour combattre les effets de leur expérience traumatique, les participants ont nommé l’acupuncture, le massage, le yoga, et EMDR (expliqué plus haut). Au sein des répondants de première ligne, les massages étaient particulièrement populaires.

Trauma ou non, la massothérapie est une avenue intéressante selon moi lorsqu’on parle de sexualité et de réapproprier son corps et les signaux de son corps. Se faire masser, se faire dorloter, se dédier un moment uniquement pour soi peut être un devoir difficile pour certains de mes clients.

On va se le dire, un paquet de gens n’iront pas consulter, n’iront pas voir une inconnue pour parler de choses intimes et difficiles. Mais un paquet de gens auront des maux de dos, mal à la nuque, etc.

Se faire masser, c’est une expérience, tout comme la sexualité. On rentre dans un monde à part, un monde sensoriel et un monde à l’intérieur de soi, et ce, avec la présence d’une autre personne. Je suggère aux gens de considérer la séance de massage comme un exercice de méditation pleine conscience : on essaie de prêter attention à notre respiration, aux sensations sur notre peau, à nos pensées qui viennent et qui partent, et à nos émotions. On partage une intimité physique avec une personne parce qu’on est dénudé(e), il faut donc apprendre à faire confiance à cette personne.

Pour les gars, il arrive d’avoir une érection lors d’un massage. Ne stressez pas. Les massothérapeutes savent que ça arrive, et surtout, il existe 3 types d’érection. L’érection que vous avez lors d’un massage n’est probablement pas le type d’érection dû à l’excitation sexuelle, au contraire, quand ça arrive, les gars sont habituellement morts de honte. Votre corps est en mode relax et le sang circule, voilà tout. Ce n’est pas de votre faute, et on vous demandera si vous préférez être sur le ventre pour travailler votre dos.

L’endroit que je conseille pour vous initier à cette pratique est Moment Présent (@momentpresentmtl). La fondatrice, Karine, a créé un espace doux et invitant, et son approche est si bienveillante. Première fois? Stressée? Gêné? N’hésitez pas à lui dire. Rentrer dans son bureau, c’est comme rentrer dans une grosse doudoune confortable. That’s the vibe.

Son bureau est à (littéralement) cinq pas du mien, et c’est un endroit véritablement inclusif pour les personnes de la diversité sexuelle.

Trouvez-la sur Instagram ou contactez momentpresentmontreal@gmail.com

Oubliez les gyms d’arts martiaux qui puent la masculinité toxique, où vous êtes hyper gêné.es et où vous avez l’impression de déranger une clique déjà établie.

l s’agit d’un gym qui offre des cours de plusieurs types d’arts martiaux et où vous pouvez vous entrainer normalement aussi.

Barbu Kickboxing est un gym de quartier, avec une vibe de quartier, des prix plus que abordables et un ratio presque 1:1 d’hommes et de femmes. L’endroit est trans-friendly et le fondateur, Francis, s’assure que l’ambiance reste ainsi. Ce gym accueille des gens de tous les niveaux et offre des rabais intéressants pour les femmes.

Renseignez-vous sur leur site web ou leur page Facebook.

Au fil du temps, je rajouterai d’autres ressources ici. D’ici là, mon point le plus important est que vous gagneriez à combiner plusieurs modalités parce que consulter n’est pas un remède miracle, même avec des sexologues comme moi et Justine qui ont réellement à coeur votre bien-être. On vous l’a sûrement dit en séance, mais vous êtes responsable de votre démarche et vous êtes maîtres de votre propre vie, donc j’espère que les idées ici vous pousseront à essayer des choses. Je conseille vivement ce livre, ou minimalement, les vidéos. Mais vraiment, le livre est un incontournable et il est disponible en audiobook, ou en version papier.

J’ai tellement d’autres chose à dire sur ce sujet, notamment le pouvoir des liens sociaux et de l’attachement, mais c’est à vous de lire le livre! Et vous m’en reparlerez en séance 🙂

Source 1 : K.L. Walsh et al., « Resiliency Factors in the Relation Between Childhood Sexual Abuse and Adulthood Sexual Assault in College-Age Women », Journal of Child Sexual Abuse 16, no.1 (2007): 1-17.